Le Synode des jeunes : transmettre l’espérance. Discours complet du Cardinal Baldisseri

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cardinal baldisseri a lourdes

Le Synode des jeunes : transmettre l’espérance

Le Pape François et

la transmission de la foi et du sens de la vie aux jeunes générations

à l’approche du Synode « sur et pour » les jeunes

Lorenzo Card. Baldisseri

(Lourdes, 10 février 2018)

Excellence,

Monsieur le Recteur,

Messieurs les Chapelains du sanctuaire,

Chers amis,

C’est pour moi une joie immense que de me retrouver ici, aujourd’hui, en ce cher sanctuaire de Massabielle pour fêter avec vous un double anniversaire : la célébration liturgique de Notre-Dame de Lourdes et le 160e anniversaire des apparitions de la Vierge Marie à la jeune Bernadette Soubirous. Je suis infiniment reconnaissant envers Mgr Nicolas Brouwet, l’évêque de Tarbes et Lourdes, d’avoir eu la courtoisie et l’heureuse inspiration de m’associer à ces événements si importants pour le sanctuaire et pour tous ceux pour lesquels ce lieu des apparitions compte.

Votre colloque, cette année, porte sur la transmission et particulièrement sur la transmission de la foi et du sens de la vie aux jeunes générations. Ce thème est donc en harmonie avec celui de l’Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques qui sera célébrée en octobre de cette année et qui est le suivant : « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ».

Ces deux thèmes portent sur des sujets qui sont au cœur de la vie chrétienne car comme le dit si bien le Pape François, « la transmission de la foi est aussi une transmission de l’espérance » (Discours aux membres de la CAL, 28 février 2014). Voilà l’accent sur l’espérance que je voudrai souligner dans cette brève communication.

Or, nous savons bien que pour nous chrétiens l’espérance, loin d’être un concept philosophique ou humaniste, est avant tout une personne et un visage : celui de Jésus-Christ sauveur. Avec cette espérance, la transmission de la foi ne se limite pas à des « contenus abstraits», et donc superficiel ou idéologique, mais est une personne qu’est le Christ.

Ce devoir de transmission est contemporain des temps apostoliques. Déjà saint Paul dans sa première lettre à la Communauté de Corinthe affirmait : « je vous ai transmis ce que moi-même ai reçu » (1 Co 15, 3). S. Paul insiste sur l’antériorité du fait de la réception par rapport à celui de la transmission. Et ceci nous conduit tout naturellement à considérer les diverses phases de la transmission de la foi : il s’agit d’une triade comme celles dont raffolent notre Pape : réceptionacceptationtransmission.

La première étape, celle de la réception, est le fruit direct de l’annonce évangélique telle que nous la décrit Saint Paul dans sa Lettre aux Romains : « Comment croire sans d'abord l'entendre? Et comment entendre sans prédicateur? Et comment prêcher sans être d'abord envoyés? » (Rm 10, 14-15). Puis il précise encore quelques versets plus loin:  « La foi naît de la prédication » (Rm 10, 17). En effet, la foi n’est ni le produit de notre pensée ni celui de notre réflexion mais plutôt quelque chose que l’on reçoit comme un don de Dieu. La foi ne vient donc pas de la lecture, mais bien de l’écoute. Il s'agit d’une relation avec quelqu’un qui introduit et conduit à l’Autre. Elle suppose aussi l’existence fondamentale d’une autre personne qui annonce et crée la communion. Et cet autre qui annonce ne parle pas de lui-même, mais est envoyé, s’insérant ainsi dans la chaîne de transmission qui remonte au Christ lui-même et aux Apôtres.

La deuxième étape, l’acceptation, est l’intériorisation et l’assimilation personnelle du message reçu. Il s’agit d’un processus qui fait que d’extérieur, le message devient intime et entre ainsi pleinement dans le patrimoine spirituel de la personne. Or, ce qui est vrai pour un individu l’est aussi pour une communauté et donc, a fortiori, pour l’Église. En effet, cette dernière transmet la foi qu’elle a fait sienne et dont elle-même vit.

La troisième étape, la transmission, est en fait la fonction propre de tout témoin ou de tout disciple-missionnaire. Elle est aussi celle la plus reconnaissable et la plus valorisée. La transmission de la foi doit faire face à divers défis, dont la plupart nous semble modernes mais qui ne sont souvent que la reformulation de défis qui existent depuis les temps apostoliques et la première transmission.

a)           Le premier défi à relever consiste à savoir transmettre la foi dans un langage qui soit compréhensible par l’auditeur. Déjà, au moment de la Pentecôte, ceux qui écoutaient le discours des Apôtres se s’émerveillaient-ils pas de les entendre « dire dans nos langues les merveilles de Dieu » (Ac 2, 11) ? Aux pèlerins de passage à Jérusalem, il n’est pas demandé de comprendre la langue des prédicateurs (hébreu, grec ou araméen), ils ont la chance d’entendre le message, chacun dans sa propre langue, c’est-à-dire dans des langues diverses de celle du locuteur. Comment est-ce donc possible ? Cette glossolalie –c’est en effet le terme qui désigne ce phénomène– qui, aujourd’hui, si il avait cours mettrait au chômage des myriades d’interprètes professionnels, n’est autre que le fruit de l’Esprit-Saint. Car, c’est Lui qui donne aux orateurs la capacité de parler « d’autres langages » que le leur. Depuis l’origine, le christianisme insiste encore et toujours sur les destinataires du message, qui doivent être en mesure de comprendre ce qui leur est annoncé. Assistée par l’Esprit, la tâche de l’Église consiste donc à réaliser l'annonce et la transmission de l’Évangile. Souvent, quand on entend parler d’Évangile, le risque est grand de ne penser qu’à un livre ou à une doctrine : l’Évangile est bien autre ou beaucoup plus encore. Il s’agit d’une Parole vivante et efficace, qui met en pratique ce qu’elle dit. Loin de se limiter à un système d’articles de foi et de préceptes moraux, il présente et annonce une personne : Jésus-Christ, Parole définitive de Dieu, faite homme.

Aujourd’hui encore, pour être audible auprès des jeunes, l’Église se doit de parler leur langage, ou du moins un langage qui permette au message de la foi de leur parvenir. C’est l’objectif que s’est fixé la prochaine Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques qui traitera justement des jeunes, de la foi, du  discernement des vocations, etc. Avec une méthodologie renouvelée, l’approche synodale procède par étapes successives de préparation. La phase imminente est celle qui réunira à Rome au mois de mars pendant cinq jours plus de trois cents jeunes du monde entier et de tout horizon culturel, spirituel et sociétal. Tout récemment, lors de son voyage apostolique au Chili, le Pape François les présentaient ainsi : « jeunes du monde entier, jeunes catholiques et jeunes non-catholiques, jeunes chrétiens et jeunes d’autres religions, jeunes qui ne savent pas s’ils croient ou s’ils ne croient pas, tous ! »  (Rencontre avec les jeunes à Maipu [Chili], 17.01.18). Et il poursuivait en expliquant les finalités de cette rencontre faite « pour les écouter, et pour qu’ils nous écoutent directement ; car c’est important que vous parliez, que vous ne vous taisiez pas. C’est à nous de vous aider à être cohérents avec ce que vous dites, c’est le travail par lequel nous allons vous aider ; mais si vous ne parlez pas, comment allons-nous vous aider ? Et parlez avec courage, et dites ce que vous sentez. Donc, vous pourrez faire cela lors de cette semaine de rencontre avant le dimanche des Rameaux, où des délégations de jeunes viendront du monde entier, pour que nous nous aidions à faire que l’Église ait un visage jeune » (ibid.). Durant ces journées, on cherchera aussi à assumer les codes et les langages qui caractérisent la communication des jeunes aujourd’hui, afin que le dialogue avec eux soit le plus clair et le plus efficace possible. En effet, aujourd’hui quels langages permettent aux jeunes de parler de manière authentique de la vie et de raconter la joie du don et de la communion ?

b)           Un deuxième défi à relever vient du fait que la transmission de la foi ne se fait pas seulement avec les paroles: elle exige un rapport avec Dieu à travers la prière qui est la foi elle-même à l’œuvre. Et, dans cette éducation à la prière, la liturgie est décisive, avec son propre rôle pédagogique, dans lequel le sujet éduquant est Dieu lui-même et où le vrai éducateur à la prière est l'Esprit Saint (XIIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques. La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne. Lineamenta, 14).

c)            En un lieu tel que celui-ci, il peut sembler redondant et superflu de souligner l’importance de la vie liturgique et de prière dans la transmission de la foi, mais quelquefois il peut être bon de répéter quelques vérités bien senties. L’expérience de l’oraison personnelle et profonde, tout comme celle de moments liturgiques forts, vécue par les pèlerins dans les sanctuaires en général, et à Lourdes en particulier, laissent une empreinte et une trace dans l’âme de ceux qui l’ont éprouvé. Là aussi, dans ce domaine si sensible de la prière et de la liturgie, les nouvelles générations y trouvent-elles leur compte et sont-elles à leur aise ? Pour avoir une ébauche de réponse, quelques jours à Lourdes livrent plus d’informations que de simples statistiques ou des alignements de chiffres et de tableaux : le sanctuaire est en vérité un lieu de première annonce et de croissance dans la foi, un lieu intergénérationnel de rencontre et de pédagogie de la foi.

d)           Un troisième défi vient de l’urgence éducative pour la transmission de la foi. Le Pape François n’a de cesse de le souligner depuis le début de son ministère. Il y voit en effet « une expression … [qui] crée un espace anthropologique, une vision anthropologique de l’évangélisation, une base anthropologique. En d’autres termes, quels sont les présupposés anthropologiques qui existent aujourd’hui dans la transmission de la foi, qui font qu’il y ait là pour les jeunes…l’urgence d’une éducation. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de toujours insister et d’en revenir aux grands principes de l’éducation » (Discours aux membres de la CAL, 28 février 2014). Le Saint-Père distingue très clairement la transmission de la foi d’un simple enseignement des vérités de la foi. « Et le premier principe de l’éducation -dit-il- c’est qu’éduquer ne consiste pas seulement à transmettre des connaissances, un contenu, mais cela implique d’autres dimensions : transmettre un contenu, des habitudes et le sens des valeurs, ces trois choses ensemble » (ibid.). À chercher de ne transmettre la foi qu’avec son contenu, on risque fort de n’avoir que du superficiel ou de l’idéologie car il manque l’essentiel : un point d’ancrage ! « La transmission doit s’appuyer sur le contenu avec les valeurs, le sens des valeurs et les habitudes, des habitudes de conduite » (ibid.). Dans ce cadre le Saint-Père ajoute une autre chose importante à transmettre aux jeunes : aider à faire grandir l’utopie qui habite un jeune et qui est une richesse. Elle ne s’épanouit que si elle s’accompagne de la mémoire et du discernement. « L’utopie regarde vers l’avenir, la mémoire regarde vers le passé, et le présent on le discerne » (ibid.). Or, « un jeune sans utopie est un vieux précoce» (ibid.). Alors, dans la transmission de la foi, comment faire pour que cette utopie -le désir d’un jeune-, le porte à rencontrer Jésus-Christ ? C’est tout un chemin qui doit être parcouru. Mais aussi quand l’utopie d’un jeune plein d’enthousiasme tombe dans le désenchantement, que faire ? Comment faire pour donner -ou redonner- foi et espérance à une jeunesse désenchantée ? Encore une fois, le Pape nous rappelle « notre tâche : la traditio fidei est aussi traditio spei, et il nous faut la donner ! » (ibid.). La transmission de la foi est une transmission de l’Espérance, qui a le visage de Jésus-Christ.

Enfin, au cours des cinq années de son ministère pétrinien le Pape François, en invitant non seulement à « ouvrir les portes » aux jeunes mais à « aller les chercher », a, peu à peu, indiqué une palette de sept points importants pour la communication ou transmission de la foi.

1.     Par une nouvelle « culture de la rencontre », l’Église doit être effectivement « en sortie » (cf. EG, 20-24) sans attendre que les personnes viennent à elle. Dans une de ses audiences, le Saint-Père a développé ce concept à l’aide de la parabole du bon Pasteur. Aujourd’hui, il ne s’agit plus pour l’Église d’aller chercher la brebis égarée pendant que les 99 autres restent sagement à la bergerie car, « nous [n’]en avons [plus qu’]une : il nous manque les 99 autres ! Nous devons sortir, nous devons aller vers elles ! Dans cette culture … nous n’en avons qu’une, nous sommes une minorité! Et nous, sentons-nous la ferveur, le zèle apostolique d’aller et de sortir, et de trouver les 99 autres ? Il s’agit d’une grande responsabilité et nous devons demander au Seigneur la grâce de la générosité et le courage et la patience pour sortir, pour sortir annoncer l’Évangile » (Discours aux participants au Congrès Ecclésial du Diocèse de Rome, 17 juin 2013). En effet, l’Église ne doit pas être comme un comptoir où l’on présente un produit que les clients viennent retirer mais plutôt comme un ensemble de personnes qui va à la rencontre d’autres personnes pour leur annoncer et communiquer une bonne nouvelle, LA Bonne Nouvelle. Tant les institutions catholiques que les simples croyants doivent être « en sortie », ne pas s’enfermer dans leurs croyances et leurs convictions ni s’entourer uniquement de personnes qui pensent comme eux, pour aller résolument à la rencontre de l’autre au risque de s’exposer ainsi aux « bourrasques » de la société. En effet, comme une foi ne mûrit que dans la mesure où elle se communique, de la même manière les catholiques ne mûrissent que quand ils se trouvent confrontés à ceux qui n’ont pas reçu le don de la foi. Ici, c’est la règle bien connue des éducateurs qui trouve tout son sens : on ne sait vraiment quelque chose que quand on est capable de l’expliquer. L’Église « en sortie » est avant tout une Église disposée à dialoguer, à communiquer et capable d’entrer en relation avec des « personnes éloignées » : non croyants, mal croyants, indifférents et ceux d’autres croyances. C’est un des motifs pour lequel, lors de la Réunion Pré-synodale de mars prochain, outre les participants proposés par les Conférences épiscopales ou les mouvements catholiques seront également présents des jeunes « différents » : non-croyants ou ayant un autre credo. En effet, la foi est un trésor un peu particulier : à la différence des trésors matériels qui sont mis à l’abri dans les caveaux ultra-sécurisés des banques pour éviter qu’ils soient volés ou dispersés, la protection du trésor de la foi (cf. 1 Tim 6, 20) s’effectue en le diffusant et en le partageant avec les autres sans toutefois qu’il diminue pour autant. Encore tout récemment, fin janvier 2018, connaissant l’importance du monde académique pour la formation des mentalités nouvelles, le Saint-Père a publié un document programmatique et stratégique concernant les universités et les facultés ecclésiastiques catholiques. Là encore, il souligne combien elles doivent devenir un lieu emblématique pour la culture de la rencontre et pour « celui du dialogue dans tous les domaines ». Il ne s’agit pas comme une simple attitude tactique, mais « [d’]une exigence intrinsèque pour faire l’expérience communautaire de la joie de la Vérité et pour en approfondir la signification et les implications pratiques. Ce que l’Évangile et la doctrine de l’Église sont aujourd’hui appelés à promouvoir – dans une généreuse synergie avec toutes les instances qui fermentent la croissance de la conscience humaine universelle – c’est une authentique culture de la rencontre (cf. EG, 239), bien plus, une culture…de la rencontre entre toutes les cultures authentiques et vivantes, grâce à l’échange réciproque des dons respectifs de chacun dans l’espace de lumière entrouvert par l’amour de Dieu pour toutes ses créatures » (Veritatis gaudium, 4).

2.     Un deuxième point se trouve dans l’Exhortation Evangelii gaudium : la transmission et l’annonce du message chrétien doivent se concentrer sur « l’annonce [de] l’essentiel, sur ce qui est plus beau, plus grand, plus attirant et en même temps plus nécessaire » (EG, 35) : Jésus-Christ notre Sauveur ! Les catholiques ne suivent pas avant tout une doctrine ou une morale, mais bien plutôt Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, l’amour de leur vie, qui les rachète, les libère et les rend heureux. C’est donc à partir du Christ que, peu à peu, on parvient à comprendre et faire siens ses enseignements recueillis dans le dogme et à en vivre les implications morales. 

3.     Un troisième point concerne la priorité évangélique de « l’attention aux nécessiteux » que le Pape François a également remis à l’ordre du jour, même si celle-ci n’avait jamais complétement disparu des « radars » des domaines caritatifs de l’Église. Ceci peut se résumer dans la formule plus d’une fois invoquée : une Église pauvre pour les pauvres. Pour la transmission de la foi, la crédibilité de celui qui l’annonce et entend la transmettre est fondamentale. En effet, si l’on n’accorde pas crédit pas à celui qui annonce, on n’accorde pas plus de crédit à ce qu’il dit. L’insistance du Pape sur la cohérence évangélique sur ce thème est fondamentale et restaure la crédibilité de l’Église qui montre ainsi sa générosité et son désintéressement et rend « concrète la ‘dimension sociale de l’évangélisation’ » (VG, 4). Bref, «l’option pour les derniers» doit «imprégner la présentation et l’approfondissement de la vérité chrétienne » (VG, 4).

4.     Un quatrième point concerne directement la transmission puisqu’il s’agit de la clarté du langage. Mettant de côté ce que les journaliste de manière ironique appelle « la langue de buis », le Saint-Père en a surpris plus d’un : coups de téléphone personnels, interviews avec des journalistes, homélies et discours hors des « normes et des codes» du langage de la Curie. Simplicité du langage, images expressives qui marquent l’esprit, trois points systématiques : tels sont les ingrédients choisis pour que la « sainte mixture » prenne pied dans le cœur et l’âme des auditeurs. Le Pape s’en explique facilement : « pour parler de l’expérience chrétienne, il faut chercher à utiliser des mots clairs et simples ; il convient même de parler avec nos mots, avec le cœur, sans nous contenter de répéter ce que les autres ont pensé ou dit…[bref] abandonner les lieux communs ». À titre d’exemple, voici un bref florilège de ces nouvelles images choisies : « l’Église, hôpital de campagne » ; « l’odeur des brebis » ; « les 15 maladies [de la Curie Romaine] » ; « la Méditerranée, cimetière de l’Europe » ; etc. Pour toute bonne communication il faut un langage clair et des gestes simples, a fortiori quand il s’agit de la communication de la foi.

5.     Un autre point, le cinquième, insiste sur le fait de considérer l’évangélisation à partir de la mission. En effet, considérer la transmission de la foi uniquement d’un point de vue individuel ou subjectif, et envisager l’expérience chrétienne seulement sous l’angle d’un effort en vue d’un dépassement personnel, risquent fort de conduire au volontarisme et de devenir autoréférentiel. Le Saint-Père propose d’aborder la question autrement, à savoir, depuis le point de vue du Dieu de miséricorde, qui est celui qui anticipe, qui fait le premier pas et convertit les cœurs. Mais aussi à partir du point de vue de l’autre, et plus particulièrement, de celui qui a besoin de notre aide matérielle ou spirituelle. Ceci constitue quelque chose d’assez motivant pour un jeune au point de le sortir de son apathie, de son petit confort, de sa paresse ou du simple respect humain. L’action évangélisatrice, et donc la transmission de la foi, se trouve ainsi liée aux problèmes de l’Église et du monde : guerres, conflits, écologie, corruption, injustice, chrétiens persécutés et migrants, etc. Le désir de construire un monde meilleur est certainement ressenti aujourd’hui par les nouvelles générations comme plus attirant et mobilisateur que celui d’efforts personnels à faire pour devenir une personne meilleure. Or, si l’on entend proposer à un baptisé de devenir un chrétien « en sortie », il faut alors insuffler en lui un immense enthousiasme pour cette mission exaltante de l’Église, car le cœur de l’homme s’enthousiasme pour des fins et pas pour des moyens, pour un objectif et pas pour un effort. C’est un peu ce que disait déjà ce grand écrivain français du siècle dernier, Antoine de Saint-Exupéry, quand il affirmait avec une de ces formules marquantes dont il avait le secret : «Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres…fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer ».

6.     Enfin, un sixième point consiste dans la nécessaire cohérence entre les actes et les paroles. Là aussi, le Saint-Père peut nous être d’exemple : dans un premier temps il agit puis, dans un deuxième temps, il parle. S’il demande un style de vie simple, on constate qu’avant il s’est choisi un logement sommaire et une voiture ordinaire. On écoute ses paroles, on voit son comportement et force est de constater qu’ils coïncident. La cohérence entre l’être, l’agir et les paroles est une exigence essentielle et une condition sine qua non dans la communication en général et dans la communication de la foi en particulier. La cohérence doit aussi s’exercer dans la durée : quelquefois l’enthousiasme initial s’érode au fil des ans avec l’accumulation de désillusions, de difficultés et d’échecs. Ceci interpelle et interroge ceux qui assistent à cette évolution négative. En effet, c’est bien la cohérence de la foi dans la durée, en dépit des difficultés de la vie, qui interroge et finalement attire.

7.     Finalement, le dernier point de cette palette sur la transmission de la foi : une joie contagieuse. Dès son premier document programmatique, Evangelii gaudium, le Pape François a choisi cette caractéristique pour l’annonce de la foi invitant les catholiques «à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie» (EG, 1) et soulignant combien « les chrétiens ont le devoir d’annoncer [l’Évangile] sans exclure personne, non pas comme quelqu’un qui impose un nouveau devoir, mais bien comme quelqu’un qui partage une joie» (EG, 14). En cela, il s’inscrit dans la lignée des Pères de l’Église qui affirmaient que la tristesse chez un chrétien est un signe de la présence du Malin ou encore de saints comme S. Philippe Néri dont une des caractéristiques était justement l’annonce joyeuse de la foi. Plus récemment, Mère Teresa, l’apôtre des déshérités, affirmait : « Nous ne sommes peut-être pas souvent en mesure de donner beaucoup mais nous pouvons toujours communiquer la joie d’un cœur qui aime Dieu ». C’est cette joie contagieuse qui touche au plus profond d’eux-mêmes ceux qui la voient et les poussent à en chercher le motif. Il s’agit donc d’une clé importante dans la transmission de la foi : la joie intérieure et rayonnante des catholiques qui font l’expérience de la présence de Dieu dans leur vie.

 

Bref, à la suite de cet échantillon de points importants proposés par le Pape François pour la transmission de la foi, comment devrait être l’Église aujourd’hui ? Une communauté accueillante et joyeuse qui célèbre sa foi, vit sobrement, pratique la charité et se préoccupe des indigents ; une communauté qui a surtout un projet enthousiasmant et une vision positive de l’homme et du monde, qui nait de la foi et de l’espérance dans le Christ Sauveur.

Dans ce contexte de l’importance de la transmission de la foi et du sens à donner à sa vie, l’initiative du Pape de convoquer une Réunion Pré-synodale pour les jeunes trouve tout son sens. Pour pouvoir vraiment transmettre, il faut connaître le destinataire, son contexte, ses aspirations, ses préoccupations, etc. C’est pour cela que le Pape dit : «c’est cela ce que nous…attendons de vous aujourd’hui: que vous nous interpelliez. Et ensuite, préparez-vous à la réponse ; mais nous avons besoin que vous nous interpelliez, l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plait, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas, ce n’est pas un pont c’est un mur, etc.”. Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez ; élaborez-le entre vous, dans ces groupes de rencontre, et ensuite ça ira au Synode où vous serez certainement représentés. Mais le Synode, ce sont les Évêques qui le feront avec votre représentation qui vous rassemblera tous. Préparez-vous à cette rencontre et dites à ceux qui iront à cette rencontre vos idées, vos préoccupations, ce que vous avez dans le cœur » (Rencontre avec les jeunes à Maipu (Chili), 17.01.18). C’est ainsi que le reproche souvent fait aux Synodes des Évêques de traiter des personnes sans qu’elles soient présentes (le fameux « de nobis sine nobis ») trouvera sa solution. Cela fait partie de cette nouvelle dynamique pour une Église plus synodale et de la nouvelle procédure des Assemblées synodales qui est en cours d’élaboration. Aujourd’hui, l’espérance de l’Église ce sont les jeunes avec ce témoignage concret qui les caractérise. Dans l’Église, ils deviennent de vrais protagonistes et coresponsables. Ils demandent aussi à l’Église de nouvelles propositions et de nouveaux langages adaptés aux leur génération, et d’être présents et de laisser leur empreinte dans l’Église et dans le monde.

Si la meilleure façon de transmettre aux nouvelles générations l’expérience du sens de la vie chrétienne est de la partager et de les encourager à la vivre, le contact des personnes âgées s’avère essentiel. Le Saint-Père insiste fréquemment sur ce thème : « le contact des adolescents et des jeunes avec les grands-parents est déterminant pour recevoir la mémoire d’un peuple et le discernement sur le présent : être des maîtres du discernement, des conseillers spirituels. C’est là que prend toute sa place, pour ce qui est de la transmission de la foi aux jeunes, l’apostolat ‘corps à corps’. Le discernement sur le présent ne peut se faire qu’avec un bon confesseur, un bon directeur spirituel qui ait la patience de passer des heures et des heures à écouter les jeunes. Mémoire du passé, discernement sur le présent, utopie de l’avenir : c’est dans ce cadre que grandit la foi d’un jeune » (Discours aux membres de la CAL, 28.02.2014).

Lié à la transmission du sens de la vie, figure le problème actuel de la culture des déchets. Il s’agit d’écologie, et plus spécifiquement, d’écologie humaine. En effet, est considérée surplus ou déchet toute personne humaine qui ne rentre pas dans le schéma de l’économie mondiale actuelle de la rentabilité et de « l’utilité »: enfants non désirés ou avec des « défauts », personnes âgées, etc. Aujourd’hui, des myriades de jeunes au chômage entrent aussi dans cette catégorie du matériau à jeter. Nous nous trouvons donc avec des jeunes qui ne font pas l’expérience de la dignité de gagner eux-mêmes leur pain quotidien. « Et donc, à l’intérieur de cette culture des déchets nous voyons des jeunes qui ont plus que jamais besoin de nous ; pas seulement pour l’utopie qui les habite – parce que chez un jeune chômeur l’utopie est anesthésiée, sinon quasiment perdue-, … mais aussi à cause de l’urgence à transmettre la foi à une jeunesse qui aujourd’hui est elle aussi assimilée à un déchet [et] est destinée à la poubelle ! » (ibid.).

Ici aussi, aux pieds de la Vierge de Massabielle, 160 ans après les apparitions, se presse encore une humanité que nombre de décideurs politiques ou sociétaux voudraient jeter au rebut : malades, porteurs d’infirmités variées : physiques, morales et spirituelles. Des personnes désespérées, sceptiques ou ardentes, des « blessés de la vie » qui viennent se jeter avec confiance dans les bras de celle « qui ne déçoit jamais ». Ils sont en effet les préférés et les favoris de Dieu et donc de l’Église !

Les jeunes aussi arrivent nombreux en ce sanctuaire où ils peuvent découvrir, approfondir ou revigorer leur foi. L’initiative pour les jeunes « en synode à Lourdes » est dans cette logique. Car ici, c’est une jeune fille, Bernadette, qui conduit les pas d’autres jeunes, dans un premier temps, vers la Mère de Jésus avant que cette dernière ne les porte tous à son Fils. Pourquoi donc, s’est plusieurs fois demandé le Pape François, est-ce que ce «sont principalement les femmes qui transmettent la foi»? (Méditation du matin à Sainte Marthe, 26.01.2015). Encore une fois la réponse doit être cherchée dans l’humble témoignage de la Vierge. «Simplement – répond le Pape – parce que Celle qui a porté Jésus est une femme. Elle est la voie choisie par Jésus. Il a voulu avoir une mère: le don de la foi passe également par les femmes, comme Jésus par Marie» (ibid). Souvent le Pape, avec affection, rappelle le rôle important joué par sa grand-mère dans sa foi ainsi que le beau service ecclésial accompli par ces femmes, mères, tantes, baby-sitters, dans la transmission de la foi en famille. Avec le Pape François on peut se demander si les femmes chrétiennes du XXIème siècle ont bien « conscience [de leur] devoir de transmettre la foi, de donner la foi » (ibid.). Mais nous, nous souvenons-nous encore des personnes qui nous ont aidés à croire ? (cf. Rencontre avec les jeunes confirmés, Milan, 25 mars 2017).