Agnès de Langeac (17 novembre 1602-19 octobre 1634)
La vie d’Agnès de Langeac fut constamment ponctuée d’événements extraordinaires, tels que nos esprits trop rationnels ont du mal à les accepter et les qualifieraient, soit de pures légendes, soit de manifestations hystériques... Pourtant, Jean-Jacques Olier, le fondateur de Saint Sulpice, fut très lié à Agnès de Langeac. Et il ne viendrait à personne l’idée de contester, ni ses dires, ni son équilibre, ni sa sainteté.
Les voies de Dieu sont impénétrables. Devant ce qui nous surprend et qui demeure incompréhensible pour nos esprits bornés, il nous faut savoir rester humbles, et nous redire que tout est possible à Dieu, même l’impossible.
1. LA VIE D’AGNÈS DE LANGEAC [1]
1-1-L’enfance d’Agnès
Agnès Galland, plus connue sous le nom d’Agnès de Langeac, naquit le 17 novembre 1602, donc, sous le Règne du roi Henri IV.
Il semble que, de 1605 à 1606, la petite Agnès ait eu, déjà, la vision de la Passion de Jésus. La petite Agnès aimait les pauvres et n’hésitait pas à leur distribuer les biens de ses parents. Mais le Seigneur multipliait le blé dans le grenier familial, ce qui apaisait les colères de son père
De 1606 à 1610, Agnès est confiée à Pierre Vigne-Sole, un jésuite dévôt au Saint Sacrement et à Marie. Dès l’âge de sept ans, Agnès médite longuement, et sa contemplation l’ouvre sur le monde invisible: c’est Jésus portant sa croix qui se montre le plus souvent à elle. Son désir de l’Eucharistie est également intense, et il semble que, déjà à cette époque, Agnès ait connu l’amour du Cœur Eucharistique de Jésus.
En 1611 Agnès fut conduite jusqu’à un lieu où était exposé le corps d’un supplicié: elle en fut profondément troublée, mais, le lendemain, une voix intérieure lui dit: “Rends-toi esclave de la Sainte Vierge, et elle te protégera contre tes ennemis.” Trois jours plus tard, Agnès faisait vœu de virginité.
1-2-L’adolescence
Ce qui domine, dans la vie d’Agnès adolescente, de 1610 à 1619 environ, ce sont ses rencontres fréquentes avec Jésus-Eucharistie, et sa fréquentation habituelle du monde invisible, “avec la découverte de son ange gardien, les visions du Christ, des anges, et de Marie, Reine des anges.” La vie mystique d’Agnès est exceptionnelle, et ses mortifications sont déjà effrayantes. Par ailleurs, on a prétendu, qu’à l’âge de douze ans, elle avait guéri, par attouchement, les plaies d’un moissonneur mortellement blessé. C’est à cette époque qu’elle reçut les stigmates invisibles, en méditant la Passion du Christ.
Mais, de 1617 à 1619, l’esprit malin s’ingénie à troubler Agnès dans son oraison. Le jeune fille doit aussi résister à son père qui veut la marier. Parallèlement elle vit mystiquement les martyres de Saint Laurent et de Saint Étienne.
1-3-La jeunesse d’Agnès
Vers 1620 ou 1621, Agnès entre dans le Tiers-Ordre dominicain. Le Père Gérard, dominicain venu au Puy pour réformer le couvent des dominicains, devient le confesseur d’Agnès. Puis, c’est le Père Panassière, un autre dominicain, qui devient son Père spirituel. Troublé par ce qui se passe en Agnès, il l’oblige à renoncer à ses communions, effectives ou spirituelles. Agnès obéit, et Jésus bénit son obéissance par une transverbération, prélude d’une complète stigmatisation. Agnès reçoit aussi la connaissance spirituelle de ses péchés, ainsi que le don des larmes... Par ailleurs, les mortifications d’Agnès sont telles qu’elle tombe malade et son directeur l’oblige à les alléger...
C’est à cette même époque qu’Agnès, désirant entrer comme sœur converse au couvent de Langeac, en cours de formation, doit effectuer un stage de six mois chez son frère boulanger. Vers 1622, Agnès eut la première apparition d’une âme du purgatoire: il s’agissait du père de son confesseur qui implorait le secours de sa prière. Elle a maintenant 21 ans et entre dans la famille dominicaine en prenant l’habit blanc du Tiers-Ordre.
À l’Épiphanie de 1623, Agnès offrit son cœur à Jésus qui, en échange, lui donna le sien. Cet “échange” mystique des cœurs est bien connu dans la vie de certains grands saints. Mais bientôt Agnès est atteinte d’une étrange maladie qui durera neuf semaines. Elle reçut l’extrême-onction; on la crut morte, mais le Samedi Saint 1623, elle était guérie!...
1-4-Une religieuse encombrante
Dès lors, le démon s’acharne sur elle et la roue de coups. C’est aussi la désolation spirituelle. Enfin, le 26 septembre 1623, Agnès est admise comme sœur converse cuisinière, au monastère de Langeac. Agnès avait déjà marché plusieurs fois sur les eaux... Maintenant, c’est une source miraculeuse qui jaillit dans la cuisine: la jeune religieuse n’aura plus besoin d’aller courir très loin pour rapporter l’eau dont elle avait besoin...
Les extases d’Agnès se multiplient... Que faire de cette sœur encombrante? Le 28 septembre 1624, Agnès devient sœur de chœur. Le démon continue de la persécuter, mais Jésus lui envoie un petit agneau blanc qui la suit parfois dans le monastère. En décembre de cette même année, elle se rend, en esprit, auprès d’une sainte mystique du voisinage: Marie Jay, pour l’aider à mourir. Un jour elle dit à ses sœurs :
– Oh ! que j’ai vu des religieuses bien plus belles que vous!
– Que nous manque-t-il? rétorquèrent les sœurs.
– Eh ! répondit Agnès en soupirant, il nous manque l’amour. Ayons la pureté de l’amour divin si nous voulons être belles aux yeux de notre Époux.
En 1625 Agnès a vingt trois ans. Son état reste toujours maladif, ses extases nombreuses. Elle fait sa profession le 2 février. Fin mars, de nouveau on la croit morte, mais elle revient à la vie: son ange gardien lui a signifié que sa présence était encore nécessaire au monastère... Et puis le Seigneur la rassure en lui envoyant des théologiens de haut niveau et experts des voies mystiques, tel le capucin stigmatisé, disciple de saint Charles Borromée, Théodose de Bergame.
À partir de 1626, les calomnies dont Agnès sera souvent victime commencent... Cependant, Agnès sera nommée maîtresse des novices, puis vicaire en chef après la prieure. Les calomnies se poursuivent, les miracles aussi, et des possédés sont délivrés.
Pendant le carnaval de 1628, Agnès souffrit de stigmates au côté avec d’importants saignements de sang et des douleurs qui ne cessaient que pendant les quatre heures de l’oraison quotidienne. Vers la fin de l’année, Agnès démasqua une fausse stigmatisée: d’où, pour elle-même, des craintes d’être dans l’illusion. En 1629, Langeac fut préservé de la peste et de la famine: Agnès avait demandé la construction d’une chapelle dédiée à Saint Roch, sur une colline, au sud de la ville.
1-5-Agnès de Langeac et Jean-Jacques Olier
En 1630 Agnès a 28 ans. Elle fait toujours de nombreux miracles. De son côté, au cours de l’été 1630, Jean-Jacques Olier connaissait une première conversion, au cours d’un pèlerinage à Lorette.[2] En 1631, suite à de nouvelles calomnies, Agnès est déposée de sa charge de prieure. Elle demande à mourir, mais le Seigneur lui déclare :
– Tu m’es encore nécessaire pour une âme que Je veux que tu m’obtiennes. Et la Vierge Marie intercède à son tour pour Jean-Jacques Olier:
– Prie mon Fils pour l’abbé de Pébrac.
Agnès priera et se sacrifiera pendant trois ans pour obtenir la conversion de celui qui deviendra Monsieur Olier, le fondateur des Sulpiciens.
Pendant ce temps, à Langeac, on découvrait que les calomnies dont Agnès était victime n’étaient que des calomnies et Agnès fut rétablie dans sa charge. De son côté, en mars 1633, Mr Olier faisait une retraite, à Paris, chez les Lazaristes de Vincent de Paul. Le 10 mars, Agnès lui apparut pour la première fois. Plus tard, alors qu’il prêchait une mission en Auvergne, il se rendit plusieurs fois à Langeac. Un jour, au parloir du couvent des dominicaines, Jean Jacques Olier reconnut Agnès qui lui révéla sa mission: fonder, en France, des séminaires. Dès lors Agnès et Mr Olier se reverront souvent. Bientôt Agnès prit Jean-Jacques Olier pour directeur de conscience; mais qui, devant Dieu, fut véritablement le directeur de l’autre?
En octobre 1634, Mr Olier fut rappelé à Paris par le Père de Condren qui, à la demande d’Agnès, deviendra son directeur spirituel.
Le 19 octobre 1634, Agnès meurt. Son visage et son corps rayonnent de lumière. Mr Olier n’est pas averti bien qu’il ait déjà reçu “en héritage”, l’ange gardien d’Agnès. À partir du 1er novembre 1634, Agnès apparaîtra plusieurs fois à Monsieur Olier. Elle lui parlera aussi en songe.
En mars 1808, le pape Pie VII proclama l’héroïcité des vertus d’Agnès.
2. AGNÈS DE LANGEAC ET SON ÉPOQUE
2-1-La grande détresse de l’Église
Agnès de Langeac a vécu durant la première moitié du XVIIe siècle. À sa naissance, le Concile de Trente (1545-1563) était achevé depuis 40 ans, mais ses décisions étaient loin d’être appliquées. La situation en France et dans d’autres pays de la chrétienté, tant sur le plan matériel que sur le plan spirituel, était catastrophique: les hérésies, les schismes, les guerres de religion avaient laissé des ruines nombreuses. À cela il faut ajouter les guerres, les famines et la peste... La pauvreté du peuple était grande. Et, naturellement, du sein de toutes ces misères, sorcellerie, magie, superstitions, renaissaient gaillardement.
L’ignorance du clergé était quasi générale, les ordres religieux étaient en pleine décadence. En effet, suite au Concordat de 1516, de nombreux biens de l’Église étaient tombés aux mains de laïcs, souvent de grands seigneurs, qui s’attribuaient abbayes, prieurés, hôpitaux, écoles, paroisses, etc... et en touchaient les bénéfices.
2-2-Pourtant l’espoir renaît
Du milieu de toutes ces détresses, soudain jaillissent des saintetés étonnantes.
Nombreuses sont les personnes de la haute société, qui, comme Marie de Médicis, Isabelle d’Autriche, Christine de Suède, Anne d’Autriche ou Louise de Marillac... vont fonder ou parrainer de remarquables œuvres de charité: hôpitaux de la Charité, de la Piété, etc... Des congrégations nouvelles se créent, destinées au soin des malades ou à l’éducation des enfants pauvres. Citons seulement Saint Vincent de Paul et ses filles de la Charité.
Les saints poussent comme par miracle : c’est l’époque de Camille de Lellis (1550-1614), de Charles Borromée, de François de Sales (1567-1622), de Vincent de Paul, de Gaston de Renty (1611-1648), de saint Jean Eudes (1601-1680), d’Angèle Mérici, de Joseph Calazanz, d’Alix Le Clerc (morte en 1640), de Philippe Néri, qui fonda l’Oratoire italien, d’Agnès de Langeac, de Mr Olier, etc... Les confréries se multiplient, les missions dans les campagnes françaises jouissent d’un renom sans précédent. On envoie aussi des missionnaires dans tous les coins du monde...
Le plus difficile restait cependant à faire: réformer les abbayes et enseigner et former le clergé. Le Bienheureux Alain de Solminihac, d’abord abbé de Chancelade, puis évêque de Cahors, (1593-1651) s’y employa dans la région du Quercy et dans son diocèse de Cahors. D’autres noms sont à citer : Bourdoise, Vincent de Paul (les Lazaristes) et Bérulle puis Condren (l’Oratoire de France qui restaura la grandeur du sacerdoce dans l’esprit des chrétiens). Enfin, il ne faut pas oublier le fils spirituel de Condren et d’Agnès de Langeac: Monsieur Olier, qui fonda les Sulpiciens pour former les prêtres dans des séminaires.
Les courants spirituels étaient nombreux, et curieusement Agnès de Langeac en connut plusieurs. Elle fut d’abord accompagnée spirituellement par des jésuites. Elle devint dominicaine, mais par ses maîtres elle reçut l’enseignement de Saint Ignace et des saints du Carmel.
2-3-La spiritualité de cette époque
La première moitié du XVIe siècle vécut un renouveau chrétien et spirituel exceptionnel. Autour des saints jaillissaient des œuvres. Les esprits bouillonnaient: il y avait tant à faire. Mais comment s’y reconnaître dans un tel foisonnement? Et quelles furent les grandes tendances de cette vie spirituelle si riche, tendances que l’on appela plus tard : l’École française.
2-3-1-L’oraison mentale
Toutes les spiritualités de l’époque insistaient d’abord sur la nécessité de l’oraison mentale ou école du Saint-Esprit. L’oraison mentale s’enracine dans l’enseignement des Pères de l’Église, maîtres en théologie mystique: Denys, Basile, Augustin, Jean Chrysostome, Cassien, Grégoire le Grand, Saint Bernard, etc... Agnès, qui pratiquait cette oraison deux fois par jour fit de grands progrès dans sa vie quotidienne.[3]
2-3-2-Les missionnaires
La vie d’oraison conduit nécessairement à aimer, et à faire, la volonté de Dieu. Les plus grands mystiques et les plus offerts à Dieu, devinrent, comme toujours, les plus grands actifs et les plus équilibrés. Nombreux furent les missionnairesqui partirent évangéliser les pays lointains, au Canada notamment, et qui surent mourir en vrais martyrs de la foi.
2-3-3-Les charismes
Au cours de cette véritable période de renouveau spirituel, les dons et les charismes furent fréquents: don de prophétie, de bilocation, visions d’anges et de saints, apparitions de la Sainte Vierge. Il est étonnant de constater que le bienheureux Holzhauser (1613-1658) prophétisa, trois cents ans à l’avance, la Guerre de 1914-18, l’assassinat du tsar de Russie et les périls qu’une nouvelle doctrine allait faire courir au monde, etc...
Citons encore Louis Emrich, un moine allemand, présentant le XXe siècle, celui que nous venons de vivre:
“Le XXe siècle sera une période de terreur et de misère... Les hommes se soulèveront contre l’autorité... Ils n’auront ni âme ni pitié... Des nuages empoisonnés, des rayons plus brûlants que le soleil de l’Équateur, des forteresses de feu qui cheminent, des vaisseaux volants pleins de bombes terribles, des étoiles qui distillent la mort et le soufre enflammé détruiront de grandes villes. Ce siècle sera le plus étrange de tous parce que les hommes se soulèveront et se détruiront mutuellement.”
Mais si les hommes changent de vie, s’ils reviennent au Père, alors, Dieu les épargnera.
2-3-4-Les apparitions de la Sainte Vierge
Visiblement le Saint-Esprit était à l’œuvre. Les mystiques foisonnaient, dont beaucoup furent reconnus par l’Église: Marguerite du Saint-Sacrement à Dijon, Alain de Solminihac à Cahors, Agnès de Langeac, Vincent de Paul, Jean Eudes, le Père de Condren, Jean-Jacques Olier, Bérulle et bientôt Grignion de Montfort, et tant d’autres.
Les apparitions de Marie étaient toujours aussi nombreuses : en 1636, à Bourgfontaine, près de Fribourg, en Suisse ; en 1649, à Vinay, dans l’Isère (Notre Dame de l’Osier) ; en 1652, à Querrien La Prenessaye ; dans les Côtes du Nord (N.D. de Toute Aide) ; en 1664, au Laus ; en 1686, dans l’Ardèche ; ou encore, en 1690, dans la Drome (Notre Dame de Fresneau).
Notons qu’en 1636, Marie chargea une religieuse de Morlaix de demander au Roi de France de lui consacrer son Royaume. Louis XIII obéit à Marie le 15 août 1638. C’est aussi le 25 juillet 1624 que Sainte Anne se manifesta à Auray, ou Saint Joseph à Cottignac.
2-3-5-Les nouvelles vocations
Des vocations de toutes sortes naissaient: on ne compte plus les contemplatifs, les actifs, les missionnaires, les éducateurs. Il y avait des ermites dans la région parisienne, des fondateurs de congrégations nouvelles ou des réformateurs des grands ordres anciens; ou simplement des vocations que Dieu désirait dans le monde, pour témoigner du Christ. Car les laïcs étaient parfois mis à l’épreuve: ainsi le duc de Ventadour, prince de Maubuisson, créait, en 1623, la Compagnie du Saint Sacrement, à laquelle adhérèrent Vincent de Paul, Mr Olier, Gaston de Renty, Jean Eudes, et de nombreux évêques, parmi lesquels Mgr Alain de Solminihac... et tant d’autres. Tel fut le siècle dans lequel vécut Agnès de Langeac!
3 AGNÈS DE LANGEAC ET MR OLIER
L’amour d’Agnès s’étendait au monde entier avec, cependant, une préférence pour l’Église et son clergé. Et sans le dire, elle souffrait pour ceux chez qui elle découvrait de la tiédeur... Jean-Jacques Olier fut celui pour lequel elle se sacrifia le plus, car c’est lui que Jésus avait choisi pour réaliser une grande œuvre: la création des séminaires demandés par le Concile de Trente. Des essais avaient déjà été tentés, par Monsieur Vincent, Jean Eudes, Bérulle, Alain de Solminihac, mais il restait encore tant à faire...
Nous sommes en 1631. Un jour, la Sainte Vierge apparut à Agnès et lui dit : “Prie mon Fils pour l’abbé de Pébrac.” Agnès pria plus que jamais pour cette âme bien-aimée de Dieu, et le Seigneur commença dans l’âme de Jean-Jacques Olier une conversion qui ne se démentira pas.
3-1-La rencontre de deux âmes
Une des grandes grâces extraordinaires dont fut favorisé celui que l’on appellera Mr Olier, celle qui fut probablement la première d’une longue série, ce fut l’apparition de la Mère Agnès. Monsieur Olier raconte dans ses Mémoires:
“Un jour,... j’étais dans ma chambre en oraison, lorsque je vis cette sainte âme venir à moi avec une grande majesté. Elle tenait d’une main un crucifix, et de l’autre un chapelet... Son ange gardien... portait un mouchoir pour recevoir les larmes dont elle était baignée... Elle me dit ces paroles: ‘je pleure sur toi’ ce qui me donna beaucoup au cœur et me remplit d’une douce tristesse... Je crus sur l’heure que ce fut la Sainte Vierge, à cause de la sainte gravité et de douce majesté où elle m’apparut, et à cause de l’ange qui lui rendait les mêmes offices qu’un serviteur à sa dame...
Je crus aussi qu’en me présentant le crucifix et le chapelet, elle voulait m’apprendre que la croix et la dévotion à la Sainte Vierge seraient les instruments de mon salut et la conduite de ma vie.”
Dieu permit que cette apparition se renouvelât une autre fois. Monsieur Olier avait 26 ans et Agnès 31 ans. Afin de lui prouver qu’il n’était pas victime d’une illusion, Agnès lui avait laissé son crucifix ainsi que son mouchoir baigné de larmes.[4] Inutile de dire que J.J. Olier chercha à revoir cette belle visiteuse. Il la retrouva providentiellement à Langeac où il était venu prêcher une mission. Agnès avait été prévenue de sa présence à Langeac, et l’attendait. Quand Mr Olier la vit, il s’exclama: “Je vous ai vue ailleurs, ma Mère.”
– Oui, dit Agnès, vous m’avez vue deux fois à Paris où je vous ai apparu dans votre retraite de Saint Lazare, parce que j’avais reçu ordre de la Très Sainte Vierge de prier pour votre conversion, Dieu vous ayant destiné pour jeter les premiers fondements des séminaires du Royaume de France. Et comme il n’y a point de réforme chez les religieux de votre abbaye de Pébrac, tâchez de la procurer le plus tôt que vous pourrez; et pendant que vous agirez, je prierai.[5]
3-2-Une haute amitié spirituelle
Dès lors, Agnès considéra M. Olier comme l’enfant de ses larmes et comme son père spirituel, et priait pour sa conversion. Pendant six mois ils se revirent souvent, et leurs entretiens duraient plusieurs heures. “On les a vus souvent si touchés de Dieu et possédés du divin amour, qu’ils passaient la nuit entière en oraison; elle en dedans de la grille du monastère qui regardait le Saint Sacrement dans l’Église, et lui dans la même chapelle.”
Depuis l’arrivée de Monsieur Olier, Agnès ne songeait plus à mourir. Mais elle avait accompli sa mission... et Mr Olier devait s’en aller et commencer sa tâche. Les adieux furent douloureux car un amour divin était né entre Agnès et J.J. Olier, un de ces amours très purs dont Dieu seul a le secret, un amour entièrement orienté vers l’union à Dieu. Monsieur Olier en fut transformé et comme aspiré vers une très haute perfection.
Le 19 octobre 1634 Agnès rendait son âme à Dieu. Mr Olier écrira plus tard qu’Agnès lui était apparue plusieurs fois après sa mort.
4. AGNÈS ET LES DONS DE DIEU
4-1-Une sainteté précoce
La vie d’Agnès de Langeac nous paraît d’autant plus extraordinaire, que sa sainteté se manifesta dès sa plus tendre enfance. Mais il faut savoir, et surtout accepter, que Dieu se choisit parfois des êtres pour les combler de ses grâces dès leur plus jeune âge. Dans son siècle qui vit fleurir des multitudes de saints, Agnès se présente cependant comme un être à part. Dieu la visita dès son enfance, comme s’il voulait la préparer à ce qu’Il lui destinait: la conformité complète à la vie de son Fils. D’elle, le saint évêque de Cahors, Alain de Solminihac, déclara : “Je n’ai jamais connu d’esprit qui eût de si particulières communications avec Dieu;”
Agnès était encore une enfant lorsque Dieu la choisit et l’unit à sa Mère pour écraser la tête du serpent par la pureté et l’humilité. Par l’intermédiaire de Sainte Catherine de Sienne Il lui demanda de choisir entre une couronne de roses et une couronne d’épines. Elle choisit la couronne d’épines, guidée comme par un instinct qui déjà l’entraînait vers la Croix, preuve de l’amour de Jésus pour nous. Dès ce moment, Agnès souffrit d’un mal de tête quasi continuel, accompagné parfois d’une “rosée sanglante”.
4-2-Le don des larmes
Dès son plus jeune âge Agnès pleura ses péchés; elle pleurait au sens propre, et les frères dominicains en furent souvent témoins. Agnès pleura toute sa vie, quoique de plus en plus discrètement à mesure que les années passaient. Agnès pleurait par repentance, elle pleurait par compassion envers Jésus crucifié, elle pleurait d’amour pour Dieu et pour les hommes... “Lorsqu’elle enseignait ses filles, elle était tout en larmes; et c’était un vrai torrent chaque fois qu’elle leur parlait des douleurs de Notre Seigneur.“
De nos jours, nous ne savons plus pleurer, ou nous refoulons nos larmes par respect humain. C’est peut-être dommage car nous passons certainement à côté de bien des grâces. Jésus torturé cria un jour à Agnès: “Aime-moi!” Et Agnès ne fut plus qu’un cœur, qu’une blessure pour répondre au Crucifié assoiffé d’amour. Qui, de nos jours songerait à pleurer sur le Corps du Seigneur ?
Mais Agnès pleurant sur le Corps du Seigneur pleure aussi sur son corps que sont les prêtres. C’est par ses larmes qu’elle gagnera le cœur de Jean-Jacques Olier. “De ses yeux, dit Éphraïm, fondateur des Béatitudes, coulera une Pentecôte sur ce tiède ecclésiastique qu’elle enflamme pour toujours.” Agnès pleure sur le monde, sur les pécheurs, “car pleurer sur le monde, c’est l’envelopper de tendresse et lui communiquer le Saint-Esprit, c’est l’enfanter au Royaume.”
4-3-Les transverbérations
On peut dire, sans se tromper, que la vie d’Agnès de Langeac ne fut que souffrances. Mais comment pouvait-elle supporter, presque sereinement, une telle intensité de douleurs ? La réponse, c’est l’amour. Agnès aima Jésus, et Jésus crucifié. Elle L’aima à la folie jusqu’à Le laisser conformer tout son être à tous les instants de sa Passion.
C’est d’abord par la transverbération de son cœur que Dieu commença à lui faire vivre la Passion de Jésus crucifié. ”Un jour, comme elle sentait pendant l’oraison des inflammations de cœur plus fortes que de coutume, elle eut quelque appréhension que ce fût une maladie de cœur naturelle, ou bien une illusion de Satan. À ce doute vint Sainte Thérèse qui lui dit: Aie bon courage ma fille, ton mal n’est pas tel que tu crois. C’est un mal d’amour de Dieu, et moi ne fus-je pas blessée par un chérubin avec une flèche d’or? Ton mal est tel. courage: aime Dieu puisqu’il te donne l’amour. Laisse brûler le feu, puisque c’est la volonté de ton Époux qu’il brûle toujours.”
Agnès se levait toutes les nuits pour faire oraison. Une nuit elle n’entendit pas la cloche; alors son ange l’avertit: “Lève-toi, va-t-en faire oraison et servir ton Époux, car l’heure passe.” Et, disant cela, “il lui donna un coup de flèche dans le cœur...” Agnès vit clairement le dard qui lui perça le cœur. “Elle se sentit brûler de grandes ardeurs qui lui durèrent pendant toute l’oraison. Agnès a souvent ressenti ces coups de flèche mais d’une manière invisible.”
Et M. Lantages, biographe d’Agnès, ajoute: “Ce jour-là, commençant son oraison à l’heure ordinaire, c’est-à-dire à minuit, elle sentit qu’on lui perça le cœur d’un coup de flèche avec une douleur si violente qu’elle en tomba par terre. Et en même temps il s’alluma dans sa poitrine un feu si violent qu’il lui semblait presque insupportable. On ne put l’apaiser qu’avec des serviettes mouillées qu’on lui mit sur le cœur.”
Un jour, après le coup de lance, elle versa beaucoup de sang par le nez et par la bouche. Les religieuses qui l’assistaient ont pensé qu’elle avait une plaie au côté, car elles s’aperçurent qu’elle y mettait un linge qu’elle retirait ensuite plein de sang. Agnès n’est plus qu’un cœur identifié au Cœur divin, Agnès n’est plus qu’amour.
C’est après sa mort que l’on découvrit ces merveilles: on hésitait à l’enterrer tant son côté gauche demeurait incroyablement chaud.
4-4-Agnès et les anges
Agnès vivait en communion perpétuelle avec son ange gardien qui, parfois, lorsqu’elle en était empêchée, venait lui apporter la sainte communion. Il faut signaler aussi une assistance particulière : “Aussitôt qu’elle sortait pour se rendre en quelque endroit, (qu’elle ne connaissait pas) au même moment, elle voyait voler devant elle un petit oiseau blanc, semblable à un papillon, qui lui servait de guide jusqu’au lieu destiné.” C’est aussi son ange qui la porta, un jour, pour qu’elle traverse la Loire à pied sec: un beau jeune homme l’avait prise dans ses bras pour la conduire sur l’autre bord...
C’est aussi son ange qui la réveillait la nuit, pour son oraison. Un jour alors qu’elle était malade, “son ange lui dit: ‘Allons faire une promenade dans le purgatoire.’ Ce qu’ayant dit, il la conduisit dans un lieu fort spacieux, tout rempli de brasiers et de flammes, où elle vit une grande quantité de pauvres âmes, en formes humaines, qui levaient les bras en haut et criaient miséricorde. Elle y vit aussi plusieurs anges qui les consolaient, et crut que c’était leurs anges gardiens.”
Un jour, le Père Boyre lui demanda ce qu’elle faisait, la nuit, quand elle ne dormait pas. “Je prie Dieu, dit Agnès. Il est vrai que je trouve peu séant de prier une si grande majesté en un tel état. Prier Dieu au lit me semble empêcher cette sainte action. Pour ce, je me lève, et m’en viens ici devant le Saint-Sacrement.” Mais, les couloirs sont bien sombres, et il est difficile de ne pas se perdre. “Je m’y perdrais si j’étais seule, dit Agnès, mais un jeune adolescent me conduit de notre chambre jusqu’ici, et me reconduit quand, mon oraison faite, je m’en veux retourner.”
Le jour de sa mort, le 19 octobre 1634, l’ange de la Mère Agnès fondit sur Mr Olier qui se rendait à Paris à cheval. Il venait d’être envoyé par elle pour sa protection et sa consolation. L’Ange gardien de Mr Olier lui dit : “Honorez bien cet ange qui vous est donné maintenant, c’est un des plus grands qui se donnent en la terre.”
4-5-Agnès et la Sainte Vierge
Peu de temps avant sa mort, en 1655, Mr Olier refit un pèlerinage à Notre-Dame du Puy où, aux pieds de la statue miraculeuse de Marie, et grâce à l’intercession et à la prière d’Agnès de Langeac, il avait reçu de nombreuses grâces. Au Puy, Marie avait choisi la France pour être honorée, et c’est là qu’elle choisit Agnès pour partager avec elle, via des expériences mystiques exceptionnelles, les secrets et les profondeurs de la Sagesse divine, et lui faire connaître les richesses intérieures de la Servante de Dieu. En effet, Marie fera connaître à Agnès, son esclave zélée, le mystère de son Immaculée Conception.
On a dit qu’Agnès ressembla à Jésus jusqu’à l’identification... Elle a fait les mêmes œuvres que son Maître: elle marcha sur les eaux, multiplia le pain, transforma un mauvais breuvage en vin excellent, ramena à la vie un enfant accidenté, guérit des malades, chassa les démons. Elle souffrit la Passion de Jésus et en porta les stigmates. Agnès fut véritablement l’amie de l’Agneau. Agnès fut une vierge très pure qui connut une profonde intimité avec la Très Sainte Vierge Marie qui ne la quittait jamais, et qui souvent l’entraînait vers des régions du Ciel dont Agnès nous a communiqué quelques bribes :
“En décembre 1624, Agnès eut une vision qui dura fort longtemps... “ Une troupe céleste de trois groupes de vierges habillées de rouge, de blanc ou de bleu, entouraient la Reine du ciel qui s’en allait chercher l’âme d’une de ses fidèles servantes en train de mourir. Il s’agissait de Marie Jay, une très humble servante d’où émanait l’amour de Dieu et du prochain. “Pour cette humble fille, une longue oraison n’était pas nécessaire, car par une simple pensée, elle s’abîmait en Dieu; vivant au milieu du monde, elle pratiquait les vertus du cloître, avec une perfection qui ne s’y rencontre pas toujours à un tel degré.” [6]
Une autre fois Agnès fut conduite en esprit dans le ciel. Marie lui offrit une rose rouge qui portait le nom de Jésus sur chacun de ses pétales. La vision dura douze heures et on crut qu’Agnès était morte. Quand enfin, Agnès revint à elle elle réclama sa rose...
Pourquoi les visions d’Agnès la conduisent-elle comme aux portes de la mort ? Éphraïm explique : “Marie est une rose dont chaque pétale peut ravir Agnès en extase. Elle est comme un parfum trop fort. Si Marie apparaît surtout aux enfants, c’est qu’ils sont purs et l’exceptionnelle pureté lui ouvre grand les yeux sur celle qui a été couronnée dans le ciel et dont elle contemple la gloire. Ce spectacle demeure cependant à peine supportable et conduit notre moniale aux portes de la mort, le corps ne supportant un tel désir, un tel élan de l’âme, une telle attraction divine.”
Couramment Agnès appelait Marie, sa maman. Les relations intimes entre Agnès et “sa Maman” commencèrent alors qu’Agnès était encore très jeune. À neuf ans, Agnès se consacra à Marie, comme son esclave.
Remarque : Saint Louis-Marie Grignion de Montfort se réclamera plus tard de Bérulle, de Condren et d’Agnès, et par elle, de Mr Olier, pour défendre le vœu d’esclavage. Bérulle explique le but de ce vœu: être esclave de Jésus, en Marie. “Il s’agit, par amour, de tout ramener captif en Dieu, comme Dieu s’est rendu captif de notre nature dans l’incarnation. Or l’incarnation est le mystère central de notre salut qui ne nous permet pas de séparer Marie de Jésus : ne divisez point en ce saint temps et en vos dévotions, ceux que ce mystère unit et conjoint, c‘est-à-dire le Fils de Dieu d’avec la Mère de Dieu.”
Il convient de noter, ainsi que le remarque Éphraïm, que cette doctrine se développe dans un contexte mystique et non pas ascétique. Ce mouvement d’anéantissement nous est inspiré par le Saint Esprit pour nous élever vers la perfection. Ainsi, Agnès nous aide à comprendre ce grand mystère par ce qu’elle est et ce qu’elle fait: sans nous en douter, nous entrons dans la spiritualité de l’École française.
4-6-Agnès et les saints
“Bienheureux les cœurs, car ils verront Dieu !” dit Jésus. Cette béatitude s’applique parfaitement à Agnès de
Langeac laquelle voyait, non seulement Dieu, mais également les mondes invisible qui l’entouraient. Les saints qui seront ses modèles la fréquenteront habituellement, et parfois de manière extraordinaire, au cours de ses extases. Ils viennent lui rendre visite, l’encourager, la conseiller et la consoler. La sainte petite Agnès, vierge et martyre fut de ceux-là. Il y eut aussi Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne qui recommandait beaucoup l’obéissance et l’humilité. On peut citer encore sainte Cécile, Marie de Magdala, Saint Paul et Saint Augustin.
Ste Thérèse d’Avila et Agnès de Langeac avaient le même amour et la même confiance pour saint Joseph. Comme Catherine, Agnès fut stigmatisée. Marie-Madeleine lui révèla la Miséricorde de Dieu et la passion d’amour d’une créature pour son Dieu. Sainte Cécile enrichissait Agnès de ses conseils. Un jour qu’Agnès s’affligeait de se voir toujours malade, Cécile lui dit: “Endure, ma chère sœur, tu ne peux jamais mieux agréer à ton Époux que par la patience dans les douleurs qu’il t’envoie. Aie recours à la Très Sainte Vierge, et assure-toi qu’elle t’assistera, et que Dieu t’accordera, par son entremise, tout ce que tu lui demanderas. N’aie point de crainte de demander, car ton Époux et le mien est très riche; il a plus envie de donner que nous de lui demander...
– Vous savez, dit Agnès, que l’on murmure de me voir toujours au lit, et toujours inutile et à la charge du monastère.
–-Si les personnes qui murmurent de la sorte, dit la sainte, marchaient par ton chemin, elles auraient moins de santé que toi.
Et pour consoler Agnès, Cécile ajouta :
– Persévère seulement... Ton Époux a voulu être glorifié par les longues maladies de sainte Claire et par celles de plusieurs autres saintes; réjouis-toi de pouvoir lui rendre la même gloire.
Agnès avait aussi une grande vénération pour Saint Dominique et pour Saint François qui l’instruisit pendant tout son noviciat. François lui dit un jour:
– Sois humble, ma fille, et aime l’humilité. S’il y a vertu qui agrée à ton Époux, c’est celle-ci; et si j’ai reçu quelque grâce, çà été par cette vertu.”
Agnès aimait aussi saint Augustin à cause de ces paroles:
“J’ai aimé, j’aime, j’aimerai toujours, jusqu’à ce que je serai (sic) uni à l’Amour même.”
[1] Tous les éléments rapportés dans cette note ont été portés à notre connaissance, grâce au livre d’ÉPHRAÏM, Agnès de Langeac, la Colombe et l’Agneau (Éditions du Lion de Juda)
[2] Là, sa vue déficiente, redevint normale.
[3] Il n’est pas inutile de noter que Saint Vincent de Paul faisait quatre heures d’oraison avant de commencer sa journée. Bérulle employait trois heures à préparer sa messe, et trois autres pour son oraison d’action de grâces.
[4] Pendant tout le temps que la Mère Agnès apparaissait à Monsieur Olier, à Paris son corps demeura immobile, dans son monastère, à l’endroit où elle se trouvait. On la crut morte, mais elle revint à elle vingt quatre heures plus tard: il s’agissait vraiment d’un cas de bilocation.
[6] Marie Jay eut, pendant six ans, comme confesseur, le Père Panassière, également confesseur d’Agnès. Elle mourut en odeur de sainteté et fut conduite au ciel par la Vierge Marie. Agnès assista, en vision à la mort et à l’entrée de Marie Jay, dans le Ciel.